Assemblée nationale - Séance du lundi 29 octobre 2007

30ème séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président

Texte original sur assemblee-nationale.fr

La séance est ouverte à dix-huit heures.

PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2008 (suite)

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

ART. 36 (PRÉCÉDEMMENT RÉSERVÉ)

M. Roland Muzeau – Rappel au règlement. Madame la ministre, vous avez déclaré vendredi que les chiffres prouvaient l’échec du système du médecin référent – affirmation intenable, d’une part parce que ce système a suscité en sept ans à peine l’adhésion de 8 000 médecins généralistes, soit 15 % des membres de la profession, d’autre part parce que ses avantages économiques sont manifestes : selon la seule étude dont nous disposions, qui émane de la direction des statistiques et études de la Caisse nationale d’assurance maladie, le forfait référent équivaut en moyenne à 7 070 euros par an et par médecin référent, ce qui représente une économie de 18 960 euros sur les seules prescriptions médicamenteuses.

Vous avez en outre fait état du soutien à votre projet de contrat individuel de l’Association nationale des médecins référents – l’AMEDREF –, qui s’en est étonnée dans un communiqué de presse, relevant qu’elle ignorait jusqu’à la rémunération et aux engagements prévus. Il semblait indispensable de rétablir la vérité sur ces deux points.

M. le Président – Ce n’était pas un rappel au règlement…

M. Jérôme Cahuzac – Le dossier médical personnalisé – DMP –, sur lequel porte l’article 36, et sur lequel le Gouvernement fonde beaucoup d’espoirs, a pris beaucoup de retard puisqu’il aurait dû entrer en vigueur en 2007. Madame la ministre, dans quel délai le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales dont vous avez fait état la semaine dernière sera-t-il disponible ? D’autre part, lors des deux appels d’offres qui détermineront le choix du portail commun, puis des hébergeurs, qui choisira, et selon quels critères – le prix ou la qualité ? Qui, de l’État ou de l’assurance maladie, assurera le financement du DMP et, dans la première hypothèse, à partir de quels fonds et selon quelle annualisation budgétaire ? S’agira-t-il d’un engagement pluriannuel ?

En outre, quels sont les avantages du DMP par rapport au « web-médecin », à l’exception du double masquage qu’il rend possible – en permettant de dissimuler non seulement les informations que le patient ne souhaite pas communiquer, mais aussi l’existence même d’informations cachées – et de l’ajout des radiographies, des examens de biologie, voire, le cas échéant, d’un résumé d’hospitalisation ? Justifiait-il une opération de mise en place si complexe que la majorité a échoué à la mener à bien au cours des trois dernières années et a dû confier à l’IGAS un rapport sur le sujet ?

Cette complexité et ce retard risquent d’être aggravés par un appel à la concurrence qui surprend dans une situation de monopole naturel : un pays qui ouvrirait le monopole sur le transport ferroviaire ne confierait pas à deux entreprises différentes l’administration de voies ferroviaires distinctes !

Mme Martine Billard – Si le DMP fait en lui-même l’objet d’un accord unanime, sa mise en place soulève des difficultés à propos desquelles nous avions alerté la majorité dès 2004, au moment de l’examen du projet de loi sur l’assurance maladie. Le ministre de l’époque avait opposé un indéfectible enthousiasme à l’inquiétude que nous inspirait une échéance peu réaliste et à notre proposition de renvoyer plutôt à un décret la date de mise en œuvre. L’entrée en vigueur prochaine du DMP avait même conduit à modifier le texte de la loi. Depuis lors, plus de nouvelles !

Aux questions soulevées à juste titre par M. Cahuzac s’ajoute cette interrogation : le Gouvernement cherche-t-il à protéger la santé des patients, comme le permet le DMP, outil de coordination évitant des examens redondants ou des prescriptions iatrogènes, ou se replie-t-il sur un objectif strictement comptable – que ce soit en recourant à d’autres instruments ou en limitant les ambitions du DMP ?

M. Jean-Marie Le Guen – Mme la ministre pourra le confirmer : contrairement à ce qu’affirme la CNAM, les ambitions du DMP sont sans commune mesure avec celles du « web-médecin », extrêmement pauvre puisqu’il ne renseigne que sur les médicaments, et non sur les pathologies.

Mme Catherine Génisson – Dossier médical partagé, personnalisé, personnel ? Les interprétations varient ; quoi qu’il en soit, peut-être nous sommes-nous collectivement trompés en faisant du DMP le fondement de l’organisation du système de soins, dont il est bien plutôt la conséquence.

En outre, n’oublions pas que ce dossier, instauré dans le sillage de la loi relative aux droits des malades, est d’abord celui du patient. Celui-ci est-il fondé à en organiser lui-même la composition, ou le périmètre du dossier correspond-il à l’ensemble de son histoire médicale, sans sélection possible ? Cette question a suscité des débats irréductibles aux clivages politiques.

D’autre part, l’informatisation des dossiers médicaux est très en deçà de ce que l’on pourrait espérer. Si elle est à peu près correcte dans le système libéral – bien que seuls 80 % des cabinets soient informatisés – elle a pris beaucoup de retard à l’hôpital. Or le parcours d’un patient peut passer très vite de l’hôpital à la médecine ambulatoire et inversement. Au moment où nous mettons en place une mission d’information parlementaire sur le DMP, il faut plus que jamais maintenir l’objectif d’un dossier médical, sans céder à la tentation d’une approche comptable du suivi médical. Le DMP doit maintenant être mis en place rapidement.

M. le Président – La parole est à M. Muzeau.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports Encore !

M. Roland Muzeau – Cet article poursuit la mise en œuvre du dossier médical partagé, instauré en 2004 par M. Douste-Blazy. Son secrétaire d'État M. Bertrand vantait alors devant l'Assemblée nationale une « innovation majeure », « un des piliers de notre action de préservation et de modernisation de notre système de santé ». Dans son élan, il promettait même que le DMP serait accessible début 2005 dans certains sites pilotes et généralisé en 2006 et 2007, voire plus tôt. Mais trop d'optimisme tue l'optimisme. Depuis, le DMP a reçu plusieurs surnoms – de « dossier mal parti » à « Douste m'a planté » – et sa mise en œuvre est reportée à un horizon lointain.

Ce n'est pas le DMP que nous critiquons, mais son pilotage et le flou qui entoure notamment son coût. Le DMP n’est en effet pas une mauvaise idée, d'autant que vous avez confirmé sa confidentialité. Cet article autorise ainsi les patients à masquer certaines données et à masquer ce masquage même. Cette possibilité somme toute naturelle a fait bondir certains syndicats de médecins. Ils ont même trouvé des relais dans cette Assemblée, puisqu'un amendement a été déposé pour revenir sur cette garantie de confidentialité. M. Préel – c’est son auteur – nous expliquera tout à l’heure – s’il finit par arriver – que cette disposition va à l’encontre des malades eux-mêmes, puisqu'elle risque d'induire le médecin en erreur, et qu'elle met à mal la relation entre celui-ci et son patient. Mais le fait de taire certaines données intimes est la conséquence – et non la cause – d'une mauvaise relation entre le patient et son médecin. Je mets donc solennellement en garde le Gouvernement et mes collègues contre cet amendement.

Autre problème : la mise en oeuvre et le coût du DMP. Vous vous êtes trop avancés en prétendant pouvoir faire en deux ou trois ans – et à l'économie – ce que les Anglais ont mis dix ans à mettre au point pour 9 milliards d'euros. Aujourd'hui, le DMP est toujours à l'état de projet. Mais il a déjà englouti des sommes considérables. Les prévisions sur sa mise en place étaient erronées. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes estime que « le pilotage des systèmes d'information en santé par le ministère n'était pas satisfaisant ». Je souhaite donc que vous nous disiez où nous en sommes, Madame la ministre, et à quelle date le DMP pourra être mis en œuvre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé D’abord un point de sémantique. Il convient de parler de dossier médical personnel, et non de dossier médical partagé, ce qui laisse supposer qu’il est partagé entre le médecin et le malade : le dossier médical personnel est bien une propriété du malade.

Le DMP a pour principal objectif d’améliorer la qualité des soins. En assurant une meilleure coordination de ces soins, il permet au patient d’être mieux soigné et réduit les risques d’interaction médicamenteuse. J’ai demandé à l’IGAS, à l’Inspection des finances et au conseil général des technologies de l’information, de procéder ensemble à une revue de projet. La tâche était complexe, Monsieur Cahuzac, mais ils me rendront leurs conclusions dans les prochains jours.

La création d’un portail sécurisant l’accès aux DMP commun à tous les professionnels et tous les patients répond à un double objectif de simplicité et de sécurité. Pour ne pas mélanger les genres, ce portail ne pourra exercer aucune fonction d’hébergement. La priorité est de sécuriser les données des patients. Le portail pourra être mis au service d’autres réseaux de santé, comme le dossier communicant de cancérologie, afin d’éviter les doublons et de réaliser des économies.

La question du masquage des données et du masquage du masquage est fondamentale. Nous nous inscrivons ici dans la droite ligne de la loi Kouchner et de la loi du 13 août 2004. La France est en pointe sur la protection des données personnelles et doit le rester. La solution présentée reprend la proposition consensuelle avancée par M. Fieschi en 2005. L’identifiant de santé a été créé pour sécuriser l’identification des patients, donc les conditions d’accès au DMP. Il est donc logique que son régime soit le même que celui du DMP.

Nous profitons de ce texte pour modifier la loi du 5 mars 2007, qui prévoyait d’autoriser l’accès des tiers bailleurs au DMP, ce qui est contraire à son esprit et plus que contestable.

Je serai évidemment très attentive aux conclusions qui vont m’être remises par l’IGAS, l’Inspection des finances et le conseil général des technologies de l’information. M. Muzeau a rappelé à bon escient que la mise en place d’un DMP exigeait beaucoup de temps. Je pense que sa finalisation prendra facilement une décennie. Cela ne nous empêchera pas de conduire des expérimentations sur certains secteurs géographiques et sur certaines catégories de patients, voire dans le cadre des ARS. J’attends aussi avec intérêt les conclusions de la mission d’information parlementaire. Nous devons en tout cas prendre le temps nécessaire pour que le DMP soit véritablement une opportunité pour les malades.

M. Yves Bur, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour les recettes et l’équilibre général – Le DMP a déjà une longue histoire. Le mieux serait de s’en affranchir en partie. Croire que le DMP permettra d’économiser rapidement de l’argent est en effet un leurre : il est d’abord au service de la qualité des soins et de la santé des patients. Croire qu’il peut être mis en place en quelques années est aussi un leurre : vous avez raison de ne pas vous fixer de calendrier précis et de vous donner le temps de l’expérimentation. Ce que nous avons fait en la matière n’est en effet pas raisonnable.

Je crains d’autre part que nous ne finissions par bâtir un système trop complexe : là où d’autres pays sanctionnent simplement les atteintes à la confidentialité, nous multiplions les verrous et les barrières.

Enfin, il faudra discuter de la mise en œuvre du DMP avec les professionnels de santé…

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé C’est très important.

M. Yves Bur, rapporteur – …qui voudront certainement être rémunérés pour la saisie des données.

L’amendement 83 de la commission – que M. Door, qui nous rejoindra tout à l’heure, aurait souhaité vous présenter lui-même – vise à clarifier la rédaction de l’article : le portail a vocation à assurer le contrôle des accès aux DMP, non à connaître de leur contenu.

L'amendement 83, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Yves Bur, rapporteur – L’amendement 84 de MM. Préel et Jardé, que la commission a adopté, vise à permettre la mise en œuvre du dossier pharmaceutique – qui semble être prêt – et à l’intégrer dans la démarche du DMP lorsque celui-ci le sera à son tour.

L'amendement 84, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 36 modifié, mis aux voix, est adopté.