Washington, le jeudi 21 décembre 2006 – A l'heure de la mise en place en France du dossier médical personnel (DMP) l’extrême nécessité d’assurer une totale sécurité aux patients quant à la confidentialité de leurs données de santé est au cœur des craintes de l’ensemble des instances chargées de l’élaboration de ce projet.
Il a même récemment été observé combien cette question pouvait être à l’origine de vives crispations, comme en témoigne le récent départ de l’association de lutte contre le Sida, AIDES, du Groupement d’intérêt public (GIP) chargé du DMP, en raison de l’inquiétante utilisation du numéro de sécurité sociale comme potentiel identifiant.
L’émergence de ces nouvelles interrogations tient à la particularité des dispositifs informatiques actuels qui offrent tout à la fois à la médecine un outil exceptionnel de transmission des informations et qui pourrait cependant être facilement détourné par les multiples acteurs soucieux de connaître l’état de santé de tel ou tel citoyen.
C’est la question même de l’opportunité de la mise en place de dossiers de santé informatisés qui semble devoir se poser. Elle est aujourd’hui le centre d’un véritable débat politique outre-Atlantique.
Le secret médical du président a été violé
L’ancien président de la République Bill Clinton est un Américain comme les autres. Lorsqu’il fut hospitalisé en 2004 à l’hôpital presbytérien de New York pour subir une intervention cardiaque, la sécurité de ses données médicales ne sembla bénéficier d’aucune vigilance particulière.
Les tentatives illégales d’accéder à son dossier médical, émanant parfois de personnels même de l’établissement, auront été particulièrement nombreuses.
Face à ce triste exemple, qui constitue le symbole d’une multitude d’affaires similaires, la fragilité du respect de la vie privée aux Etats-Unis dans le cadre de la mise en ligne de dossiers médicaux personnels, est interrogée de façon particulièrement vive.
Si face à l’impulsion donnée par le président George W. Bush, favorable au développement intensif de l’informatique en matière de santé, le député républicain du Texas, Joe L. Barton, estime que l’aspect le plus important d’un tel projet réside dans la « mise en place d’un système d’information de santé » et que le Congrès pourra s’intéresser ultérieurement à la notion de protection des données « si nécessaire », les préoccupations des démocrates sont bien plus vives.
Une grande majorité d’entre eux ne cache ainsi pas que leur arrivée au Congrès en janvier prochain sera marquée par la mise en œuvre de nouvelles garanties dans ce domaine. Le député démocrate du Massachusetts, Edward J. Markey a récemment révélé sa volonté de promulguer une loi qui autorisera les citoyens américains à ne pas confier leurs dossiers personnels à des banques de données centralisées.
Les médecins américains redoutent l’informatique comme la justice
La faillibilité des systèmes de sécurité informatique conforte aujourd’hui un grand nombre de médecins américains dans leur réticence à utiliser cette voie pour enregistrer leurs données.
Dans un pays où la judiciarisation médicale est poussée à l’extrême, les praticiens craignent en effet que des transmissions inopportunes de certaines informations ne constituent des arguments supplémentaires pour les candidats à une éventuelle poursuite judiciaire.
Ainsi une étude conduite par des chercheurs du Massachusetts General Hospital et la George Washington University, citée récemment par le New York Times, révélait que moins d’un médecin sur dix utilise les technologies modernes lorsqu’il s’agit de signaler la prescription de médicaments ou d’analyses médicales ou des décisions cliniques.
Les grands groupes promettent 50 $ pour tout savoir la santé de leurs employés
Les craintes des patients sont également particulièrement aiguisées. Elles concernent notamment l’utilisation des données médicales transmises aux assurances mais aussi aux employeurs.
Un nombre croissant d’entreprises américaines propose en effet des primes à ceux et celles qui acceptent la création d’un dossier médical informatique accessible dans le cadre d’une base centrale sécurisée.
Ainsi un bonus de 50 dollars est accordé aux salariés d’UPS qui acceptent de fournir des renseignements permettant « l’évaluation de risques majeurs ». Officiellement, la consultation de ces données par une infirmière du groupe UPS permet à cette dernière de prodiguer aux salariés des conseils de prévention.
Si la moitié des employés du groupe ont accepté ce marché, d’autres citoyens américains pourraient au contraire être tentés de masquer de plus en plus souvent leur état de santé. C’est ainsi que l’ancien président de la Société médicale de San Francisco, le docteur Stephen J. Walsh affirme que « de nombreux patients refusent absolument de voir figurer où que ce soit le fait qu’ils consultent un psychiatre ».
Un cycle pervers semble se mettre en place : l’outil informatique destiné à offrir un panorama exhaustif quand à l’état de santé d’un patient redevient une coquille vide en raison de l’impossible confiance des individus.
Laxisme de l’état fédéral
Une confiance qui pourrait être ravivée si l’Etat fédéral se montrait plus sévère à l’égard des contrevenants. Bien qu’une telle violation de la vie privée puisse entraîner des poursuites pénales, les condamnations restent rares.
Les états sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à pallier l’insuffisance de l’Etat fédéral en mettant en œuvre des législations beaucoup plus strictement appliquées.