Texte original sur leparisien.fr
C'est toujours laborieux. Selon un rapport de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (Mecss) dévoilé la semaine dernière devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, 9,3 millions de dossiers médicaux partagés (DMP) ont été ouverts en France. Neuf ans après la première ouverture, en 2011, le DMP peine toujours à s'imposer dans la vie quotidienne des soignés et des soignants.
Qualifié parfois de carnet de santé numérique, il a vocation à être parcouru par tout personnel de santé consulté par le patient, et donc de faciliter le travail et l'efficacité des soins. Avantages qui ne convainquent ni les professionnels ni les patients.
Un vrai fiasco que la gestion de ce projet transféré en 2016 à la Caisse nationale d'assurance maladie qui a pour mission d'améliorer le produit et, depuis 2018, de généraliser le DMP. Car malgré l'ouverture de 7,5 millions de nouveaux dossiers en dix-huit mois, on reste loin de l'objectif de 40 millions de dossiers créés en 2022, fixé par le ministère en 2018.
Néanmoins, se défend l'Assurance maladie, « nous n'étions pas si éloignés de l'objectif. Fin 2019 nous étions à 8,5 millions, nous devions être à 20 millions fin 2020… » insiste Annelore Coury, directrice déléguée de la gestion et de l'organisation des soins à la Cnam. Oui mais voilà, la crise du Covid a tout stoppé. « Au premier trimestre 2020, nous avions un rythme de 13 000 ouvertures par jour, avec des pointes à 20 000, poursuit la directrice déléguée. Le confinement a fait baisser ce nombre à 3000, et actuellement nous sommes à 8 000 ». Conséquence, vendredi soir dernier, les compteurs de la Cnam affichaient 9 345 514 ouvertures.
Un chiffre à prendre avec des pincettes, car beaucoup de DMP ouverts sont inactifs. Peu alimentés par les professionnels, peu consultés par les patients, ils ne vivotent que parce que l'assurance maladie y verse chaque feuille de remboursement.
« Le DMP actuellement, c'est un peu une coquille vide », expliquait mardi à ses pairs de la commission des Affaires sociales le député MoDem Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur de la Mecss. Et d'enfoncer le clou : « Il est conçu comme un coffre-fort fourre-tout et illisible où s'accumulent sans ordre des documents de santé. »
Une critique connue que relativise Annelore Coury : « Un généraliste sur cinq a glissé au moins un document dans un DMP au cours des douze derniers mois, 521 hôpitaux l'ont fait, 1 019 Ehpad — que nous aidons à s'équiper — l'ont fait. Les laboratoires de biologie vont le faire. »
La directrice déléguée concède des faiblesses persistantes relevées par la Mecss, comme l'impossibilité de faire une recherche par mots-clés, d'annoter un document stocké… « En 2016, nous avons réalisé un audit et listé ce qui faisait obstacle au déploiement. Nous nous étions donnés trois ans pour l'améliorer. Nous sommes ainsi en train de développer un moteur de recherche intégré en lien avec les éditeurs de logiciels. » Mais il faudrait auparavant que les documents ajoutés soient « structurés », pour qu'un moteur puisse y déceler des mots-clés…
Le rapport de la Mecss regrette un DMP « conçu par des informaticiens sans associer ni les professionnels de santé, ni les patients ». Il préconise de lancer « dès à présent » le « chantier de l'ordonnancement » pour qu'enfin tout le monde s'y retrouve dans le « fourre-tout ». Un énorme travail attend donc encore l'Assurance maladie. Elle promet un DMP 2.0 en 2021 et assure que les objectifs de déploiement pourront alors être dépassés.
Lancé par la loi du 13 aoùt 2004 de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, le projet dossier médical personnel (DMP), devenu partagé en 2018, se veut un outil d'efficience médicale. Les professionnels autorisés par le patient détenteur du dossier doivent y glisser les documents concernant le malade : compte rendu, prescription, vaccins, antécédents du patient… Patient qui peut le consulter librement.
Mais les Français boudent depuis le début ce carnet de santé numérique. Et voilà que la loi du 24 juillet 2019 sur l'organisation et la transformation du système de santé prévoit d'attribuer à chaque citoyen, quel que soit son âge, un Espace numérique de santé (ENS), dont le DMP ne sera qu'une des briques. Cet espace permettra au patient titulaire d'accéder par exemple à des applications de santé, à son dossier pharmaceutique, à une messagerie sécurisée pour échanger avec médecins et établissements de soins… Son déploiement prévu pour le 1er janvier 2022, a lui aussi été confié à la Caisse nationale d'assurance maladie.
Devant les retards pris, la complexité de la mission et le fait de devoir déployer presque simultanément deux entités numériques, le Sénat a voté en mars un amendement au projet de loi Accélération et simplification de l'action publique (Asap) qui permet le déploiement concomitant du DMP et de l'ENS. Par souci d'efficacité, l'amendement voté a même déjà prévu de recourir au système dit d'« opt-out » : fin 2021, chaque Français sera alerté de l'ouverture imminente (si ça n'est pas déjà fait) de son DMP et d'un ENS. S'il ne s'y oppose pas formellement (opt-out), les deux seront créés automatiquement et simultanément. L'Assurance maladie s'attend ainsi à avoir déployé in fine, en janvier 2022, quelque 60 millions de DMP et d'ENS.
L'enjeu est sanitaire bien sùr, mais il est aussi économique. Car les données collectées à chaque consultation (poids, taille, tour de taille, nombre de pas, glycémie, rythme cardiaque…), toutes stockées sur un serveur français situé en France, ont vocation à être anonymisées puis exploitées pour détecter des épidémies ou de mauvaises pratiques type Mediator ou prothèses PIP…