Le dossier médical personnel (DMP) n'est toujours pas opérationnel et ne le sera pas avant des années. Après les promesses répétées des anciens ministres de la santé, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, qui avaient annoncé l'ouverture de ce dossier informatisé pour chaque assuré, à la mi-2007, le gouvernement change de stratégie.
Dans un communiqué commun publié lundi 12 novembre, les ministres de la santé et du budget, Roselyne Bachelot et Eric Woerth, affirment que le gouvernement se "donnera le temps nécessaire" pour relancer le DMP, un projet qui "doit s'inscrire dans une perspective de longue durée". S'appuyant sur les conclusions d'un audit très sévère des inspections générales des finances, des affaires sociales et du conseil général des technologies de l'information, les ministres annoncent ainsi l'ouverture d'une concertation qui devra définir une nouvelle "feuille de route" du DMP avant mars 2008.
Créé par la loi du 13 août 2004 de réforme de l'assurance-maladie, le DMP devait "favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins" en permettant aux professionnels de santé d'accéder, sur un site sécurisé, aux données médicales d'un patient. Tous les assurés sociaux de plus de 16 ans, soit 48 millions de Français, devaient pouvoir en disposer. D'emblée, le projet a pourtant été marqué par "l'irréalisme de son calendrier initial" notent les inspections.
Imposée par M. Douste-Blazy, grand ordonnateur de la réforme, la date butoir du 1er juillet 2007, "a fonctionné comme un piège". Son successeur, Xavier Bertrand, ayant choisi de ne pas dénoncer cet objectif - en mai 2006, il parlait "d'une généralisation effective du DMP pour 2007, comme nous l'avions prévu" -, tout le projet a été marqué par l'urgence de rendre effective une commande politique irréalisable.
"GESTION PARFOIS INCONSÉQUENTE"
Selon le rapport d'inspection, "il en est résulté une gestion de projet constamment précipitée, souvent improvisée, parfois inconséquente". Ainsi, la priorité a été donnée à la dimension informatique et à l'hébergement du DMP, au détriment de la réflexion sur le contenu et l'usage du dossier, qui attendent toujours d'être fixés par décrets.
La phase d'expérimentation, clôturée à la fin 2006 quelques mois après avoir été lancée, "n'a pas permis de tirer les enseignements opérationnels attendus". Enfin, le groupement d'intérêt public (GIP), créé en 2005 pour mettre en oeuvre le DMP, a souffert d'une "instabilité managériale et stratégique" : trois directeurs se sont succédé en quelques mois, et un changement de cap est brutalement intervenu à la mi-2006, pour tenter de conforter l'objectif d'un DMP pour tous en 2007.
Le modèle économique a été construit sur des bases incertaines, sans tenir compte des exemples étrangers. Aucun des projets comparables, qu'ils soient anglais, canadien ou danois, ne prévoit pourtant de mise en oeuvre inférieure à dix ans, pour des coûts par habitant avoisinant les 250 euros. En France, le montant global du DMP a été évalué à 1,1 milliard d'euros sur cinq ans, soit un coût par habitant de 18 euros.
"Notre pays serait ainsi en mesure de mettre en oeuvre un projet d'une telle complexité en trois fois moins de temps et avec trois fois moins d'argent qu'il en faut aux autres pays engagés dans une entreprise similaire", raillent les inspections. Le rapport d'audit souligne par ailleurs que le DMP a été présenté "à tort" comme une "source majeure" de réduction de dépenses de l'assurance-maladie : en réalité, les "économies à attendre du DMP sont incertaines, et en tout cas lointaines".
Malgré ces vicissitudes, le gouvernement a décidé de poursuivre le projet de DMP, tout en changeant totalement de méthode. Renonçant à l'urgence, il affirme qu'il agira désormais de "manière pragmatique, en privilégiant les expérimentations sur le terrain" et en ciblant le DMP sur les professionnels de santé et les patients qui "en ont le plus besoin".