Texte original sur lequotidiendumedecin.fr
Gouvernance sur la sellette, redéfinition encore floue du périmètre du dossier médical personnel, critiques des médecins et des politiques... : la reprise en main du DMP est en route. Mais pour quels objectifs ? Marisol Touraine ne s’exprime plus sur ce dossier sensible, réduisant aux conjectures les observateurs.
Où ira le DMP en 2013 ? Les critiques fusent sur ce fameux dossier qui a déjà coûté au contribuable français près de 250 millions d’euros. Une somme à rapporter aux 274 141 DMP officiellement créés en France au 20 janvier, « ce qui fait un peu plus de 900 euros par dossier », ricanent ses nombreux détracteurs. Bien cher, de fait, pour un projet dont l’initiateur, Philippe Douste-Blazy, prophétisait en 2004 qu’il permettrait à l’assurance-maladie de réaliser 3,5 milliards d’euros d’économies par an. Près de dix ans plus tard, le DMP français est un vaste chantier inabouti.
Un malheur n’arrivant jamais seul, les derniers chiffres du déploiement du DMP sont franchement mauvais. Car les 274 141 dossiers comptabilisés fin janvier sont à comparer aux 264 113 déjà ouverts fin décembre. À ce rythme (environ 10 000 nouveaux dossiers par mois), les 66 millions de Français ne sont pas près d’avoir leur dossier médical. Dans la région Centre, le nombre de nouvelles créations baisse chaque mois depuis octobre, passant de 983 à cette date à 443 en janvier. Pas très bon signe en période de déploiement. Surtout, plus de 140 000 DMP ne contiennent aucune information médicale. « Des coquilles vides », ironisent les opposants.
En novembre, la ministre de la Santé mettait les pieds dans le plat. Constatant la très faible appropriation du DMP par les professionnels de santé, et regrettant de nombreuses ouvertures de dossier « largement théoriques », Marisol Touraine militait pour un DMP « de 2e génération » et pour un changement de gouvernance du dispositif. Un recentrage du DMP (sur le parcours de soins des personnes âgées ou en ALD) qui sonnait comme un désaveu pour la stratégie actuelle illisible.
Deux mois plus tard, selon des informations concordantes, des changements à la tête de l’ASIP (agence des systèmes d’information partagés en santé, en charge du développement du DMP) auraient été décidés par le ministère - sans qu’une date n’ait encore été fixée pour les départs des deux principaux dirigeants. « On ne peut pas garder les responsables de cet échec conceptuel », affirme un fin connaisseur du dossier qui ajoute que « si Marisol Touraine conserve pour l’instant une attitude diplomatique vis-à-vis du DMP, elle a malgré tout décidé de procéder à sa remise à plat complète, sans le dire pour le moment ».
Le silence radio ministériel est éloquent. Pas un mot sur le DMP lors des voeux à la presse, au cours desquels Marisol Touraine a pourtant égrené les chantiers prioritaires pour 2013. La réorganisation du cabinet de Marisol Touraine, que « Le Quotidien » a tenté de joindre en vain sur ce sujet, explique sans doute ce flou stratégique.
Le député socialiste Gérard Bapt, grand pourfendeur du DMP dans sa forme actuelle, est plus disert. Si le dossier traîne, explique-t-il en substance, c’est que, outre les changements au sein du cabinet, le ministère de la Santé travaille à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble de la e-santé.
Dans un deuxième temps, le pilotage politique central du DMP sera confié à la délégation à la stratégie des systèmes d’information de santé (DSSIS), placée sous l’autorité du secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales. La relance du DMP attendra encore un peu. « La DSSIS attend sa feuille de route », assure Gérard Bapt.
Plusieurs questions restent pendantes, comme celle de l’hébergeur unique. « Je reste réticent à cette solution qui ne garantit pas contre le risque de bug ou d’attaque malveillante », insiste Gérard Bapt. Quant à l’utilité pratique du DMP, Gérard Bapt se montre sévère.« Aujourd’hui, l’ASIP fait du chiffre en créant des DMP vides, sans faire d’évaluation. Or la véritable évaluation, c’est de savoir combien de DMP sont réellement consultés. Mais l’ASIP se garde bien de communiquer sur ces données ».
Chez les médecins libéraux, l’attentisme a laissé place à une forme de fatalisme. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, s’interroge sur cette supposée reconfiguration du DMP. « J’ai vu Marisol Touraine en novembre. Je l’ai sentie en phase avec nous sur le DMP, mais depuis, aucune nouvelle. Je me pose des questions sur ce silence ministériel. » Le Dr Claude Leicher, patron de MG France, n’en sait pas plus. « Nous n’avons pas d’informations sur ce dossier depuis des mois, même si on sent bien que la ministre veut reprendre le dossier en main ».
Les représentants des médecins ont pourtant leur idée sur ce qu’il conviendrait de faire. Regrettant qu’on ait « conçu le DMP sans les médecins », Michel Chassang affirme qu’il faudrait « retourner à l’essence-même du projet, le volet médical de synthèse », en confiant son alimentation au médecin traitant avec l’aide de son logiciel métier. La nouvelle convention pousse en ce sens en valorisant (symboliquement) la synthèse par le médecin traitant.
Au chapitre du contenu, il faudrait s’en tenir aux informations les plus pertinentes, réclament les médecins : état civil, facteurs de risque, antécédents familiaux et personnels, maladies chroniques, traitements en cours, problèmes récents. « Si on décide vraiment que le DMP doit évoluer comme ça, conclut Michel Chassang, les médecins vont s’y investir, à condition bien sûr d’être correctement rémunérés pour ce travail ».
La question de la rémunération est centrale. « Si le médecin traitant s’implique dans le DMP, il serait normal de revaloriser le forfait médecin traitant », fait valoir le Dr Leicher. Aujourd’hui, c’est l’inverse, faute de lisibilité du DMP. « Les médecins n’ont pas d’intérêt à alimenter gratuitement un système dont ils ne voient pas à quoi il sert », analyse le médecin généraliste.
Last but not least, le décret censé définir le champ exact et le contenu du DMP, attendu depuis des années, n’est toujours pas paru, comme le regrettait en juillet un rapport de la Cour des comptes. Très critique sur le DMP, les « sages » pointaient un défaut grave de stratégie et de pilotage de l’état, une absence d’évaluation rigoureuse de son utilité, et une insuffisance de suivi financier.