Texte original sur quotimed.com
La remise de l'audit sur le projet DMP a été repoussée après le 15 octobre. En attendant, les avis divergent sur la méthode à adopter pour relancer le dossier médical personnel. Chez les médecins libéraux, les syndicats réclament un outil à l'usage des praticiens, au nom de la coordination des soins.
L'AUDIT COMMANDÉ par Roselyne Bachelot sur la conduite du projet du Dossier médical personnel (DMP) depuis l'origine se fait attendre. Confié conjointement aux inspections générales des Finances et des Affaires sociales (IGF/IGAS, épaulées par le Conseil général des technologies de l'information), cet audit crucial doit permettre à la ministre de la Santé de disposer d'un état des lieux et de recommandations avant de «relancer» le chantier DMP, qui a raté le rendez-vous du 1er juillet 2007 fixé par la loi Douste-Blazy de 2004. Reste à savoir sur quelles bases le DMP repartira. Les diverses parties entendues par la mission d'audit ont remarqué parfois que les experts de l'IGF/IGAS «n'étaient pas tous d'accord entre eux» et qu'ils se montraient «très pessimistes» à travers leurs questions.
Quoi qu'il en soit, l'audit ne sera sans doute pas le seul élément déterminant dans la réorientation du projet. La mission d'information mise en place en septembre à l'Assemblée nationale souhaite aussi apporter sa pierre au nouvel édifice. Selon le président-rapporteur de cette mission, Jean-Pierre Door (UMP), les députés veulent favoriser «un redémarrage rapide en 2008», sachant que «le projet prendra beaucoup plus de temps que prévu». D'ores et déjà, une «journée parlementaire du DMP» est programmée le 10 décembre.
Par ailleurs, des langues se délient ici ou là pour influencer le cours des choses. «Il y a des intérêts divers et variés sur le sujet et un vide total de doctrine gouvernementale, observe un fin connaisseur du dossier. C'est donc le cadre idéal pour le lobbying.»
Fin septembre, les Entreprises des systèmes d'information sanitaires et sociaux (LESISS) et le Syndicat national des industries des technologies médicales (SNITEM) ont ainsi défendu conjointement un scénario de «relance rapide et réaliste». Ces groupes d'industriels (qui affirment représenter «80%» du secteur) ont recommandé «la confirmation de l'arrêt indispensable de l'appel d'offre pour l'hébergeur de référence» (1) et une nouvelle «architecture souple et modulaire pour pallier la rigidité étatique».
Dans la même veine, la fédération santé de l'UMP a rendu une note à la ministre de la Santé lui conseillant d'abandonner l'approche trop étatique du projet. Ses auteurs entendent privilégier un déploiement régional et interrégional du DMP «en tache d'huile», à partir de plusieurs hébergeurs en concurrence, en vue d'une généralisation à l'horizon 2009-2010 (« le Quotidien » du 3 septembre).
Le « bébé » de Bertrand.
Mais cette vision n'emporte pas l'adhésion de tous les acteurs, loin de là. L'hébergeur de référence, encore virtuel, trouverait notamment un ardent défenseur en la personne de Xavier Bertrand. Selon nos informations, l'ancien ministre de la Santé serait intervenu pour défendre son « bébé », qu'il met à l'actif de son bilan avenue de Ségur.
Par ailleurs, des experts doutent que des systèmes d'information régionaux épars puissent un jour converger. Chez Santéos (hébergeur à la fois impliqué dans les expérimentations du DMP et choisi pour stocker le dossier pharmaceutique), Jean-Yves Robin rappelle que le déploiement d'un projet comme le DMP appelle des «prérequis» : «Des hébergeurs à un bon niveau industriel pour garantir un hébergement sûr aux patients» et «une volumétrie de dossiers» favorable aux économies d'échelle afin de «ne pas gâcher l'argent public». Le directeur général de Santéos pense donc que le gouvernement ferait bien de s'inspirer du modèle de sécurisation des données bancaires.
Du côté des syndicats de médecins libéraux, on aimerait que le DMP soit recentré sur les praticiens au lieu des patients. La CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) veut «un dossier médical partagé entre médecins, simple et évolutif» et, avertit son président Michel Chassang, elle reste «vent debout contre le masquage» (autorisé au patient, à l'insu des médecins). Le leader du SML (Syndicat des médecins libéraux), Dino Cabrera, en a aussi «ras le bol du masquage du masquage» des données jugées trop sensibles par le patient. D'autres, comme Gilles Urbejtel de MG-France, s'étonnent de «l'absence de rattachement du DMP au médecin traitant» et redoutent un dossier «bibliothèque» sans classement ni utilité pratique. Claude Bronner (Espace généraliste) et Jean-Paul Hamon (Fédération des médecins de France – FMF) pointent le manque d'interopérabilité des systèmes d'information, à l'instar du dernier rapport de la Cour des comptes sur la Sécu.
Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS, qui fédère des associations de patients et d'usagers), «s'attend à ce que le DMP devienne davantage un outil du praticien». Si cela se confirme, le CISS ne restera pas inerte et fera valoir «les droits fondamentaux des patients inscrits dans la loi Kouchner de 2002» (impliquant «un journal des traces» et «des représailles massives» en cas de violation du secret médical). En tout cas, le président du CISS «souhaite une concertation très large après l'audit» et avant toute refondation du projet DMP.
Celui-ci est à la croisée des chemins.