Mission IGF, IGAS et CGTI sur le DMP : Enjeux et recommandations

FULMEDICO - 14 octobre 2007
Scanné à partir d'un original papier par le Dr Jean-Jacques Fraslin

Texte original sur fulmedico.org

Enjeux du projet et questions préalables à sa poursuite

Tant de vertus ont été prêtées au DMP qu’aucune documentation sérieuse n’a jamais vraiment étayées, tant d’objectifs difficiles à concilier lui ont été assignés, tant de ruptures et de vicissitudes ont affecté sa mise en œuvre, tant d’incertitudes pèsent encore aujourd’hui sur la pertinence de la stratégie adoptée, tant d’acteurs apparaissent aujourd’hui découragés, sceptiques ou déçus, si large enfin est le fossé constaté entre les annonces initiales et l’état d’avancement du projet, qu’il apparaît aujourd’hui impossible de ne pas poser la question : le projet de DMP n’est-il pas une chimère ? Faut-il, à l’heure où les comptes de l’assurance maladie connaissent un déficit record, poursuivre un projet qui nécessitera un investissement minimum de 1,1 Md€ sur cinq ans (2006-2010) sans garanties suffisantes de réussite et sans visibilité sur les effets positifs que l’on peut attendre en retour ?

1.1. Une clarification préalable

Pour répondre à cette question, il faut d’abord débarrasser le DMP des faux-semblants et idées reçues qu’il a pu véhiculer jusqu’alors, faute d’une définition précise du concept. Un discours pédagogique est à reprendre sur le DMP, ses finalités, son contenu, les bénéfices que l’on peut en attendre. Du diagnostic porté par la mission, trois idées force se dégagent, qui méritent d’être soulignées à titre de préalable.

Le DMP est un projet extrêmement complexe et de long terme, qui ne pourra être mené à bien sans une gouvernance cohérente, une conduite de projet rigoureuse, la mise en place de normes d’interopérabilité précises et obligatoires et une harmonisation des formats et protocoles d’échanges de données, un calendrier souple et réaliste, un budget de programme, la participation active des parties prenantes, des processus d’audit et d’évaluation réguliers.

• Si l’on peut raisonnablement attendre d’un tel outil qu’il contribue à l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins - sous réserve que soient réunies par ailleurs les conditions de son appropriation par les professionnels de santé -, il est illusoire d’en attendre avant longtemps des économies tangibles et mesurables.

• Un tel projet dont la mise en œuvre dépend de multiples acteurs obéissant à leurs logiques et à leurs priorités propres (services de l’Etat, organismes d’assurance maladie, autorités indépendantes, opérateurs des systèmes d’information de santé, institutions et établissements de santé, professionnels de santé, patients, industriels... ) ne peut être imposé d’en haut et contre tous ; il doit être au contraire un projet fédérateur et mobilisateur.

Ce préalable posé, l’appréciation portée sur l’opportunité et l’intérêt de poursuivre le projet dépend des réponses apportées à deux types de questionnement : le premier relatif aux enjeux de santé ; le second aux options stratégiques du projet DMP.

1.2. Les enjeux du DMP au regard de la politique de santé

Le diagnostic porté par la mission a mis en évidence les trois grands paradoxes du DMP :
-  Conçu pour fournir aux professionnels de santé un outil destiné à favoriser la qualité, la continuité et la coordination des soins, son régime juridique et sa structure l’ont transformé en fait et par priorité en dossier du patient.
-  Censé faciliter la centralisation des informations médicales les plus utiles, son déploiement initial ne s’appuie pas sur les systèmes d’information hospitaliers.
-  Regroupement partiel de données provenant des systèmes dispersés d’information des professionnels de santé, le DMP est progressivement devenu, par défaut, un projet « structurant », le catalyseur d’une mise en cohérence des systèmes d’information de santé que l’on pourrait concevoir par d’autres voies.

Dans quelle mesure et à quelles conditions ces trois paradoxes peuvent-ils être dépassés, et le DMP justifier l’importance des investissements qu’il requiert à lui seul ?

1.2.1 Le DMP instrument de la qualité et de la coordination des soins ?

La première partie du rapport a mis en évidence la complexification engendrée par le glissement de la notion de dossier médical partagé, outil à l’usage des professionnels, vers celle de dossier médical personnel à l’ambition double :
-  donner au patient la maîtrise des informations concernant sa santé
-  et fournir aux professionnels de santé un outil d’amélioration de la qualité des soins.
Au terme de son enquête, la mission considère que la décision du législateur de créer un dossier médical personnel est un acte politique répondant à une évolution de la société, et qu’il constitue désormais, indépendamment des inconvénients et les complications engendrés par sa mise en œuvre, un acquis irréversible.
Du strict point de vue de la coordination des soins, cependant, le DMP n’est pas a priori l’instrument le plus adapté.
-  En premier lieu, le DMP se superposera aux dossiers médicaux tenus par les professionnels de santé, auxquels il ne se substituera pas et dont il ne constituera qu’un reflet plus ou moins partiel.
-  En second lieu, sa conception même, qui fait du DMP un classeur de documents électroniques indexés sans synthèse, rendra son usage de plus en plus coûteux et malaisé au fil du temps, à mesure que le nombre de documents accumulés augmentera. D’autres dispositifs, purement professionnels et qu’il serait possible de rendre communiquant entre eux par d’autres techniques, sont par construction davantage susceptibles de répondre aux objectifs de coordination des soins, dans la mesure où ils comprennent avant tout des données médicales structurées (évolutions d’une variable biologique, analyse d’interactions médicamenteuses, synthèses d’examens radiologiques, etc.) et sélectionnées selon des protocoles préétablis.

[YBT2] Sans doute peut-on concevoir, dans un premier temps, que le rassemblement de documents sur le .support électronique unique du DMP permettra au médecin aujourd’hui confronté à la recherche d’informations éparses et à la lourdeur matérielle des échanges sous forme papier, de gagner du temps.
Mais on peut également imaginer, comme en témoignent divers projets ou expériences en cours de réalisation (dossier pharmaceutique, dossier communiquant de cancérologie, dossiers partagés des réseaux ... ), que l’avenir de la coordination des soins passe d’ores et déjà par l’échange et la mise en commun de données médicales structurées et sélectives, indépendamment de l’existence d’un DMP.
A cet égard, la conception sur laquelle repose le DMP est probablement un peu datée, et l’on peut penser, au rythme où s’accomplissent les sauts technologiques, qu’elle pourrait s’avérer rapidement dépassée.
Ainsi le DMP sera bien plus un instrument d’aide à la prise en charge mis à la disposition du médecin par le patient et permettant de limiter certains risques et redondances, surtout dans les cas où le professionnel de santé se trouve face à un malade inconnu de lui (urgence, première hospitalisation, consultation à l’occasion d’un voyage, etc.) qu’un outil professionnel gérant des flux d’informations liés aux processus de soins et à la coordination des soins.
Son utilité, en tant que « serveur de résultats » unifié, n’en est pas moins indéniable.

1.2.2. Le DMP vecteur de transformation des pratiques médicales ?

Le projet français de dossier médical dématérialisé présente une deuxième originalité.

Dans la plupart des pays ayant entrepris de mettre en place un tel dispositif, le projet s’est d’abord appuyé sur les systèmes d’information hospitaliers.
Ce n’est pas le cas en France, où le DMP a d’abord été pensé en fonction de la médecine ambulatoire et où la coordination des soins entre la ville et l’hôpital, pour un ensemble de raisons tenant notamment à la faiblesse et au morcellement de la gouvernance des systèmes d’information de santé (cf. supra), n’a pas pu constituer un axe stratégique prioritaire. Le plan de déploiement en témoigne, qui n’associe dans un premier temps les hôpitaux qu’à travers la transmission dans le DMP des résumés de sortie, alors que les établissements de santé et les réseaux avaient servi de support principal aux expérimentations.

Dans les hôpitaux, le DMP ne représente qu’un enjeu secondaire qui ne constituera pas un levier des programmes d’informatisation des processus de soins (aide au diagnostic, aide à la prescription, suivi de l’administration de médicaments, aide à la définition de protocoles thérapeutiques, informatisation des plateaux médico-techniques, etc.) dont le plan « Hôpital 2012 » a fait l’un de ces objectifs. Au sein de l’hôpital public, c’est au niveau des systèmes d’information médicaux et non du DMP que se jouera principalement l’apport des technologies de l’information et de la communication à l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins. Ce n’est d’ailleurs que dans une phase ultérieure du déploiement à horizon de plusieurs années à la fois du DMP et des SIH, que sera traitée la question des modalités d’accès des praticiens hospitaliers au DMP, et plus généralement celle de son articulation avec les dossiers médicaux hospitaliers.
Toutefois, depuis peu, la DHOS affiche sa volonté de promouvoir la production systématique de comptes rendus dans des conditions qui permettent une mise à disposition massive de copies (pour le DMP) en 2009 [1][YBT3]

• En ce qui concerne la médecine de ville, si une grande majorité des professionnels de santé affirme adhérer au principe du DMP, le chemin est encore long avant de parvenir à une généralisation de la gestion dématérialisée des dossiers médicaux.
Rappelons-le, seulement un médecin de ville sur cinq maitrise la gestion informatisée du dossier patient à travers un logiciel métier. Or, ni la nouveauté ni l’intérêt de l’outil technologique que représente le DMP ne seront en eux-mêmes suffisants pour lever les résistances culturelles et faire évoluer les pratiques médicales.

• Le DMP ne sera utilisé par les professionnels de santé qu’à une double condition :
-   présenter un intérêt manifeste pour la qualité de la prise en charge du patient et la sécurisation du diagnostic et de la prescription ;
-  offrir en pratique une rapidité et une ergonomie optimales.
Cela signifie que le DMP devra contenir des informations à la fois fiables et pertinentes, rapidement accessibles et utilisables par un logiciel « métier », et présenter un intérêt proprement médical supérieur aux coûts d’adaptation qu’il imposera en termes d’équipement, de formation, de temps pédagogique consacré au patient, de risques liés au traçage des actes.

• Trois facteurs seront décisifs :
-  la nature et la qualité des mesures d’accompagnement et de soutien qu’il leur sera proposé pour recourir au DMP, et plus généralement aux systèmes d’information modernes ;
-  la pression éventuelle des patients pour disposer d’un dossier médical convenablement alimenté ;
-  la stabilité et l’ergonomie du poste de travail, qui devra pouvoir intégrer le logiciel « métier », le système de gestion de Sesam-Vitale, l’Historique des remboursements de la CNAM, les outils de messagerie sécurisée, le DMP, etc.
Or, à bien des égards, les mesures envisagées pour susciter une adhésion rapide des médecins libéraux restent floues ou relèvent à ce jour du pari, la plus grande incertitude résidant dans le rôle que le médecin traitant sera appelé à jouer.
Il serait illusoire d’imaginer que le DMP constituera en soi un outil assez puissant pour transformer les pratiques médicales et apporter la solution miracle aux problèmes des prescriptions redondantes et de la iatrogénie, à la résolution desquels il contribuera sans doute, comme y contribueront beaucoup d’autres dispositifs. En revanche, on peut raisonnablement penser, en dépit de ses limites intrinsèques, qu’il favorisera, à un stade de maturation du dispositif, l’amélioration de la prise en charge du patient en offrant aux médecins - aux généralistes en particulier - un accès facilité à un ensemble de données concernant le patient. Surtout, le DMP est probablement de nature à transformer la relation entre le patient et le médecin, et ce sous des aspects et dans des proportions difficiles à prédire ou à imaginer aujourd’hui.

1.2.4. Le DMP catalyseur d’une informatique médicale cohérente ?

Le DMP se situe au carrefour des systèmes d’information de santé dans la mesure où, pour être alimenté de façon satisfaisante, il doit recevoir sous forme numérique les données de santé provenant des différents producteurs de soins. Cette caractéristique n’implique pas que l’on fasse de ce projet, qui a ses objectifs propres, le levier principal de la structuration et de la mise en cohérence des systèmes d’information de santé. Il existe pour assurer cette cohérence des méthodes éprouvées (mise en place d’une structure et de pilotage stratégique, définition d’un plan de réalisation, d’un schéma directeur général, etc.).
Or, pour un ensemble de raisons (attentes suscitées par le DMP à sa création, importance des moyens financiers dégagés pour sa mise en œuvre, implication forte d’industriels lors de la phase d’expérimentation, faible pénétration des technologies de l’information dans le domaine médical, multiplicité et cloisonnement des systèmes d’information existants, difficulté structurelle du dispositif de gouvernance à encadrer les systèmes de santé dans une stratégie cohérente), les responsables du ministère chargé de la Santé, comme d’ailleurs les industriels et les professionnel de santé impliqués dans l’informatique médicale, ont très vite été conduits à considérer le DMP comme un enjeu essentiel pour l’avenir des systèmes de santé.
Bénéficiant d’une assise législative forte, porté jusqu’à présent par un grand volontarisme politique, situé à l’interconnexion de nombreux systèmes et projets, le DMP offre indéniablement une fenêtre d’opportunité exceptionnelle pour :
-  créer les conditions d’une interopérabilité des systèmes d’information de santé ;
-  définir des standards en matière de formats de documents, de formats de données, de protocoles d’échanges, de sécurité des échanges et de la conservation des données ;
-  établir une passerelle entre les médecins de ville et les hôpitaux ;
-  prévenir le risque de développement anarchique des initiatives hospitalières, régionales ou institutionnelles ;
-  favoriser la diffusion de l’informatique médicale et l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les professionnels de santé ;
-  stimuler la culture de l’échange entre professionnels de santé.
De ce point de vue, le projet de DMP est de fait devenu l’un des principaux moteurs de la modernisation des systèmes d’information de santé, et prend dès lors, par défaut et en débordant de sa vocation initiale, la dimension d’un projet structurant pour l’avenir du système de santé, dans la mesure où l’apport de l’informatisation médicale (accès rapide à l’historique des soins, communication aisée des données, partage de l’information) apparaît aujourd’hui comme un élément important de la qualité de la prise en charge du patient

1.3. Des choix immédiats lourds de conséquences

Trois conclusions se dégagent du diagnostic réalisé par la mission :

Il est vain de chercher à attribuer au DMP une rentabilité à court et moyen terme ; la réduction du nombre et de l’importance des actes redondants, inutiles ou iatrogènes ne s’obtiendra qu’à un horizon lointain, et sous l’effet conjugué de nombreux facteurs, économiques, médicaux, culturels, technologiques et sociétaux ; en revanche, le DMP représente une réelle opportunité pour rendre communiquant les systèmes d’information de santé, et un levier pour mettre le développement de l’informatisation médicale au service de la qualité des soins.
Avec ses limites et les perspectives qu’il peut ouvrir, ce projet justifie-t-i1 un investissement a minima de l’ordre d’1, 1 M€ sur cinq ans (2006-2010) ? Il n’y a pas de réponse rationnelle et véritablement objective.
En définitive, la réponse à cette question ne peut être que politique.

La mission, au terme de son enquête, a néanmoins forgé sa conviction :

-  Le projet a été conçu et trop longtemps conduit sans égard pour les grands principes de pilotage et de fonctionnement requis par des projets complexes et de grande ampleur. Le constant climat d’urgence auquel a été soumis le projet, comme l’absence de dispositif professionnel et rigoureux de gouvernance, ont gravement perturbé sa mise en œuvre et entamé sa crédibilité.
-  Malgré toutes ces difficultés, un mouvement s’est engagé, des acquis appréciables ont été obtenus, des processus prometteurs ont été suscités. En dépit des déceptions et des frustrations accumulées au fil des reports et des changements de cap, l’attente de la majorité des acteurs reste forte, et le DMP demeure un levier précieux pour accélérer, moderniser et rationaliser le développement des systèmes d’information de santé. Enfin, en choisissant d’instituer un dossier médical personnel de préférence à un simple dossier médical partagé entre professionnels de santé, le législateur a accompli un acte politique qui dépasse les enjeux de l’assurance maladie et de l’organisation des soins. Au-delà des complications que cette option ne manque pas d’engendrer, il s’agit d’un acquis sociétal sur lequel il ne paraît pas possible de revenir.

Pour toutes ces raisons, la mission estime que le projet DMP ne doit pas être abandonné, ni subir un report brutal de nature à faire perdre le fruit des investissements déjà consentis et à briser la dynamique à long terme du projet

Toutefois, aujourd’hui, la crédibilité de l’Etat est en jeu.
Les sommes dépensées dans ce projet sont importantes, et les investissements restant à réaliser le sont davantage encore. Depuis trois ans, tous les acteurs de la santé ont été mobilisés et ont donné beaucoup de leur temps, de leur énergie, de leur argent au service du projet. Le développement d’autres programmes, comme le dossier pharmaceutique et le dossier communiquant de cancérologie, est en partie dépendant de celui du DMP. Il n’est plus possible d’exposer le DMP au risque d’un nouveau fourvoiement, auquel le concept même ne survivrait sans doute pas.
C’est pourquoi les termes des choix qui se présentent aujourd’hui au gouvernement doivent être énoncés sans fard.
Trois questions se posent :
-  Les risques et les incertitudes mis en évidence dans ce rapport apparaissent-ils suffisamment maitrisables pour poursuivre la procédure d’appel d’offres en cours et désigner l’hébergeur de référence ?
-  Dans l’hypothèse d’une remise en cause de l’appel d’offres, existe-t-il des alternatives stratégiques et opérationnelles ?
-  Une déclaration sans suite de l’appel d’offres en cours est-elle de nature à porter un coup fatal au projet et à la dynamique de long terme dont il est porteur ?

• Ce rapport l’a longuement développé (cf. supra, §4.2.), l’appel d’offres relatif à l’hébergeur de référence a été lancé :
-  précipitamment sur la base d’un cahier des charges bourré d’incertitudes et de paris ;
-  trop tôt dans la chronologie du projet ;
-  sans concertation suffisante avec les-industriels ;
-  sans que les conditions clés d’un déploiement efficace aient toutes été réunies. Par ailleurs,
-  le modèle envisagé porte en lui un sérieux risque de dérives.
Le libre choix de l’hébergeur par le patient repose sur une fiction : tout hébergeur étant soumis à un tarif public d’hébergement et à des obligations identiques, les critères de choix sont illusoires.
Autoriser chaque hébergeur agréé à prospecter les clients potentiels dans le cadre d’une démarche compétitive est susceptible d’engendrer des stratégies de captation de clientèle fondées sur un « marketing » offensif et des pressions diverses auprès des acteurs censés pouvoir jouer un rôle de relais ou de prescripteur de choix, comme les professionnels de santé.
La mission considère que la responsabilité des pouvoirs publics est avant tout d’apporter aux assurés sociaux des garanties de sécurité et de bon usage de leurs données de santé, et non de leur proposer un libre choix fictif pour permettre à un hypothétique marché de se développer.
-  Enfin, le scénario de déploiement est encore entaché de nombreuses incertitudes : des questions sérieuses sont en suspens, qui représentent autant d’hypothèques pour le développement des logiciels comme pour la montée en charge du DMP, parmi lesquelles les conditions d’adaptation des logiciels « métier », les modalités d’accompagnement des professionnels de santé libéraux, la détermination des processus de sécurité, d’authentification et d’identification ne sont pas les moindres.

En définitive le modèle envisagé risque de donner lieu à une multitude de contentieux et d’impasses complexes au terme desquels l’Etat ne peut pas sortir indemne.

Dans le climat de polémique qui entoure le projet, cela place les pouvoirs publics devant un choix inutilement dramatisé. La réussite du DMP passe en effet par un ensemble de pré-requis dont la désignation de l’hébergeur de référence n’est ni la plus urgente, ni la plus fondamentale. Mais l’appel d’offres organisé à cet effet est devenu un symbole, celui d’une stratégie contestée et d’une gouvernance mal comprise.

L’annuler, c’est faire subir au DMP un nouveau revirement et, devant la force et la diversité des résistances qu’il suscite, prendre le risque d’une démobilisation fatale au projet Conduire l’appel d’offres à son terme, c’est implicitement valider une architecture et un modèle dont la stabilité et la supériorité ne sont pas assurées, et encourir le reproche de reporter à plus tard, par souci de ne pas désavouer une politique de l’État, la gestion des risques dont la stratégie est porteuse.

II. Les recommandations de la mission : sauvegarder les acquis, retrouver la confiance des acteurs et relancer le projet

Compte tenu de l’ensemble des constats effectués par elle, des enjeux qui s’attachent au projet DMP, des questions qu’il soulève, des espoirs qu’il a suscités mais aussi des risques dont il est entouré, la mission s’est interrogée sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre à son égard dans la période à venir.
En conséquence, la mission a d’abord considéré que, s’il y a lieu de corriger dans toute la mesure du possible les dysfonctionnements dont il était affecté, il n’y a pas lieu de renoncer au projet lui-même, c’est-à-dire de l’abandonner. Cette stratégie, qui ne serait finalement que la stratégie du pire, mettrait incontestablement notre pays en retard marqué par rapport à ses principaux partenaires et aux progrès continus de la technologie dans un domaine essentiel et socialement très sensible, celui de la santé, et• cela quand bien même les projets particuliers et sectoriels que sont l’historique des remboursements, le OP, la carte Vitale 2 etc. poursuivraient leur propre cours.
Au fond, la décision qui doit être prise passe par la réponse à trois questions :
Les risques et les incertitudes mis en évidence dans ce rapport apparaissent-ils suffisamment maîtrisables, et à quelles conditions, pour mener à son terme la procédure d’appel d’offres en cours et désigner l’hébergeur de référence ?
-  Dans l’hypothèse d’une remise en cause de l’appel d’offres, quelles sont les alternatives stratégiques et opérationnelles envisageables ? Toujours dans cette hypothèse, quelles mesures sont-elles de nature à éviter qu’un coup fatal ne soit
Porté au projet et à la dynamique de long terme dont il est le vecteur ?

2.1. La poursuite du mouvement engagé doit être maintenue, mais on ne peut conserver la voie engagée même en l’accompagnant de mesures de comblement des fortes carences relevées

La poursuite jusqu’à son terme de l’appel d’offres engagé pour le choix d’un hébergeur de référence présuppose le maintien de l’architecture actuellement prévue, qui combine hébergeur de référence et hébergeurs agréés, et, par conséquent celui du modèle économique sous-jacent avec ses faiblesses.
Il devrait, en tout état de cause, être assorti d’une démarche d’accompagnement, qu’il y aurait lieu de formaliser, de chiffrer et d’insérer dans un calendrier précis, visant à apporter une réponse à l’ensemble des problèmes non encore résolus et qui sont essentiels.

• Ce scénario présente divers avantages
-  il évite la déstabilisation des équipes du GIP et des diverses structures encore mobilisées ;
-  il n’inflige pas un nouveau changement de cap, un an et demi après le précédent ;
-  consécutivement, il n’afficherait pas une nouvelle source de démobilisation ;
-  il permet la poursuite des travaux engagés.

• Mais ce scénario présente surtout de nombreux inconvénients et des risques appréciables que la mission s’est attachée à mettre en lumière
En définitive, la mission s’est demandée si ce scénario, en dépit de ses importantes faiblesses, pouvait néanmoins fonctionner. Elle a estimé que la réponse était peut-être affirmative, mais - et cela sans préjudice des risques mentionnés - au prix d’un mode de progression plus ou moins imprévisible, voire brouillon, marqué à certains moments par des avancées et à d’autres peut-être par des arrêts, des conflits ou même des reculs.
La mission considère qu’elle ne peut, en l’état actuel du dossier et sans consolidation du projet de modèle économique de l’hébergement recommander aux ministres qui lui ont confié cette revue de projet de donner suite à la procédure d’appel d’offres en cours en vue de la désignation d’un hébergeur de référence.
Pour autant, la mission estime la décision qui sera finalement prise par le gouvernement ne doit conduire ni à une nouvelle déstabilisation du GIP-DMP, ni à une remise en cause du projet, ni à une rupture de la dynamique dont le DMP est porteur en matière de modernisation des systèmes d’information.
Dans cette perspective, la mission préconise un ensemble de mesures permettant tout à la fois de sauvegarder les acquis, retrouver la confiance des acteurs et relancer le projet

2.1.1. Sauver les acquis

Il faut mettre au crédit du GIP un certain nombre d’acquis que l’arrêt de la procédure de marché en cours ne saurait réduire à néant. Non seulement il faut lui en reconnaitre la paternité mais surtout, il convient de les préserver, tant ils sont des éléments cruciaux pour la réussite du projet à moyen terme.
Tout d’abord, dans le cadre de la procédure de marché lancée pour le choix de l’hébergeur de référence, le GIP a travaillé à l’élaboration de spécifications, notamment pour permettre le « dialogue » entre les hébergeurs et le portail mais aussi entre les hébergeurs, le portail et les logiciels métiers des professionnels.
Quelle que soit l’architecture retenue in fine, centralisée ou non, ce sont là des éléments incontournables, désormais prêts pour un pour tout nouvel appel à la concurrence.
Mais le GIP ne s’est pas contenté de fabriquer le « contenant », il a aussi travaillé sur l’alimentation des DMP, au démarrage du projet. C’est notamment l’objet des conventions signées dans le cadre des appels à projet.
Au total, de façon certaine, les DMP pourraient être alimentés, dès les premières ouvertures, par des données venant ;
-  des laboratoires : une convention a ainsi été signée cet automne avec le syndicat des biologistes : elle concerne quelque 2.000 laboratoires, soit près des 2/3 des laboratoires privés existants ; il s’agit très concrètement de diffuser les normes d’échanges ;
-  des cabinets de radiologie : concentrée, dans un premier temps, sur la seule sénologie, la convention signée avec la société française de radiologie prévoit notamment l’envoi au DMP (pour 2 millions de dossiers sur 36 mois) de comptes-rendus structurés et d’images illustratives.
-  des hôpitaux : en la matière. les progrès sont moins spectaculaires, le GIP ne disposant pas, en propre de moyens d’action sur le secteur hospitalier ; pourtant les résumés de sortie, compte tenu de l’importance (en volume comme en « sensibilité ») des soins hospitaliers, sont des documents indispensables à la constitution du DMP ; les expérimentations ont permis de montrer que bien souvent les équipes hospitalières étaient plus en pointe quelesmédecinslibéraux pour activer et remplir ces dossiers.
-  des pharmacies : c’estl’objetde la convention signée enmai 2007 avec le conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP). le DP étant désormais opérationnel, utilisant par ailleurs, le même identifiant que le DMP, pourra alimenter le DMP dès son ouverture par le patient ; outre cette phase d’initialisation. La convention prévoit également l’alimentation du DMP par le DP, au fil de l’eau ; avec cette convention, c’est le syndrome du dossier vide qui est écarté.

Le travail sur l’alimentation du DMP présente, au surplus, une caractéristique qu’il n’est pas évident de mettre à jour au premier regard : les données amenées à constituer le socle du DMP, dès son ouverture, sont toutes des données structurées, d’utilité immédiate pour les professionnels de santé. Si elles demeurent, comme on est en droit de le penser, les seules données mobilisables pendant la longue période de montée en charge, c’est le contenu même du DMP qui devrait s’en trouver modifié. Il est en effet vain de croire que ce qui pourrait devenir un atout de l’outil DMP (simplicité d’utilisation ; recherche efficace) ne soit abandonné dans une phase ultérieure, quand les PS auront commencé à l’utiliser.

Outre ces aspects techniques, l’action positive du GIP se mesure aussi aux débats qu’il a suscités, notamment chez les professionnels de santé. Il ne s’agit bien sûr pas là des débats sur la façon dont est mené le projet mais bien sûr l’objet DMP lui-même. Nombreuses sont les réflexions qui ont été lancées (et qui continuent de l’être) sur l’introduction de cet objet dans la pratique professionnelle. Ont ainsi été abordées, à plusieurs occasions, les questions de responsabilité, celles concernant l’impact de cet outil sur la relation médecin-patient, celles concernant la relation entre professionnels de santé.
Plus fondamentalement, c’est bien l’idée d’un outil dont l’arrivée est inéluctable et dont on ne saurait se passer, que, petit à petit, le GIP a su développer. On en a fini désormais de discuter du bien fondé du DMP, ou de l’opportunité de son développement voire même de son coût. On travaille désormais sur la simplicité de son utilisation. Les exemples étrangers, comme plus fondamentalement l’idée selon laquelle cet outil est l’un des leviers de la modernisation du système de santé, achèvent d’inscrire ce projet dans le paysage touffu des systèmes d’information de santé.

2.1.2. Restaurer la confiance [yBT4]

Un important travail technique et de réflexion a déjà été réalisé. Pour enclencher un retour de la confiance, il est nécessaire de se concentrer sur des objectifs réalistes, concrets et partagés. Le réalisme consiste d’une part à communiquer sur des calendriers crédibles : le DMP est un projet de très long terme et un investissement important pour l’avenir des systèmes d’information de santé et de l’amélioration des pratiques médicales : il doit être abordé comme tel, avec des méthodes rigoureuses de conduite de projet, un calendrier approprié et réaliste, dès règles de gouvernance efficaces. Le projet doit continuer, mais sur des bases solides et en prenant le temps qu’il faut, et d’autre part à concentrer les efforts sur certaines données pour alimenter le DMP d’une part et sur leur utilité et leur usage...

2.2. Relancer le projet dans le bon ordre

2.2.1. Une démarche organisée et professionnelle de gestion de projet, adaptée à la taille et aux enjeux du projet DMP. Cette démarche reposerait fondamentalement sur une idée simple mais forte : la nécessité de rebâtir le projet pour le faire avancer dans un ordre logique, c’est-à-dire en précisant de façon technique et exhaustive le contenu du DMP et ses sources d’alimentation, avant d’en définir le réceptacle, c’est-à-dire le mode d’hébergement
Ce scénario implique d’abord de d’achever de définir les spécifications en matière d’alimentation du dossier et de définition de son contenu, d’interopérabilité, de sécurité. A cette fin il conviendrait dans un premier temps de mettre un terme en l’état actuel des choses à l’appel d’offres en cours sur l’hébergeur de référence en le déclarant sans suite, et de lui substituer un nouvel appel d’offres d’ingénierie (en vue de permettre la résolution des incertitudes et des lacunes du cahier des charges actuels) et de prototypage.
Concrètement les phases de
-  Déclarer sans suite l’appel d’offres en cours sur l’hébergeur de référence ;
-  Lancer un nouvel appel d’offres d’ingénierie et de prototypage permettant d’achever de définir les spécifications en matière d’alimentation du dossier et de définition de son contenu, d’interopérabilité, de sécurité
-  Coupler ce travail de prototypage avec une phase test, conduite avec les acteurs de terrain pour en particulier :
• un travail d’intégration des spécifications d’échange dans les logiciels métiers en coopération avec les éditeurs ;
• un travail concret avec les médecins pour adapter cette nouvelle source d’information à leurs pratiques (avec ou sans recours à un logiciel de cabinet) ;
• la poursuite des conventions passées pour le Dossier pharmaceutique/la radiologie/la biologie/le DCC
• le lancement d’une initiative pour intégrer l’usage du DMP dans les SIH
• l’inscription du patient dans le processus et le test de l’utilisation du portail unique ;
Ces initiatives correspondent à des appels à projets ciblés sur des résultats visibles et généralisables.
Concomitamment devraient être traités les divers problèmes non encore résolus et déjà mentionnés
Enfin la question de l’hébergement devrait être reprise après l’achèvement des étapes et travaux indiqués ci-dessus

2.2.2 Lancer un nouvel appel d’offres d’ingénierie et de prototypage

La résolution des incertitudes et des lacunes du cahier des charges actuels est un préalable nécessaire à toute généralisation du DMP, même partie [YBT5].
L’étude et la réalisation de démonstrateurs de solutions possibles peut contribuer à surmonter ces obstacles, d’autant qu’il s’agit souvent autant de questions techniques qu’organisationnelles. En effet les solutions préconisées doivent convenir aux utilisateurs (patients, professionnels de santé,... ) qui vont les mettre en œuvre, mais aussi aux autorités règlementaires dont, au premier chef, la CNIL. Tout développement de système d’information de cette nature et de cette ambition comporte donc des phases d’ajustement avec les utilisateurs.

• Le nouveau cahier des charges de prototypage et d’expérimentation portera donc sur :[YBT6]
-  Le développement d’une version expérimentale de la brique logicielle d’hébergement (spécification, réalisation, recette) pour aboutir à la mise en œuvre d’un prototype de la chaîne complète du DMP (version qui permet de valider les choix de conception),
En d’autres termes, il est proposé d’inverser la logique actuelle qui met les hébergeurs en concurrence pour proposer leurs solutions, et de mettre en concurrence des développeurs de solutions informatiques, pour constituer une chaine logicielle unique création-gestion-hébergement-interfaces du dossier,
Cette chaîne s’imposera à tous les candidats hébergeurs, qui dès lors n’auront pas d’autre procédure sélective que leur demande d’agrément
Des expérimentations en vraie grandeur de l’alimentation du DMP en documents (structurés et non structurés) par les systèmes externes (dossier pharmaceutique, logiciel de gestion de cabinet, système d’information hospitalière) de façon à valider les protocoles d’échanges de données, les usages que l’on peut en attendre (pour les patients et les professionnels de santé). Ce travail permettra de valider et d’affiner sur tous les plans le contenu des dossiers, les interfaces, la cinématique des échanges, la sécurité et l’intérêt des adaptations d’usage.
-  Une fois développé et expérimentée, cette chaîne logicielle pourra être mise à disposition des hébergeurs de données. En effet l’hébergement de -données selon différents niveaux de sécurité est un service entant que tel qui n’a pas de rapport avec la nature des données hébergées.
Sur ces bases, il sera alors possible d’échafauder, en concertation, le programme de montée en charge.
L’objectif est de définir au plan national une chaîne logicielle et un contenu du DMP, lequel peut évoluer et les spécifications d’échanges de données avec les logiciels de santé (LGC, SIH, logiciels spécialisés type imagerie ... ). Il ne s’agit aucunement de préjuger des architectures techniques, centralisées, réparties susceptibles de supporter l’hébergement du DMP.

2.2.3. Résoudre les problèmes majeurs encore en suspens et définir un véritable plan de déploiement

-  Problèmes d’identifiant, d’authentification/identification -. Le décret préparé prévoit un numéro aléatoire non signifiant qui devra être apparié de manière unique (sans doublon ni télescopage) avec le NIR. La mise en œuvre technique et pratique de cette solution reste à développer
-  Travail en amont avec la CNIL : La Commission a réfuté le NIR considérant qu’il est largement connu et peut servir de clé pour associer des informations médicales à une personne. Elle sera très vigilante quant au risque de stockage de toutes les données de santé d’une personne dans un lieu unique. Elle va donc exiger un niveau de sécurité très élevé, peut-être même le chiffrement des données comme c’est le cas pour les données pharmaceutiques. Or cette contrainte peut entrainer de graves problèmes de performance.
-  Questions juridiques
-  Plan d’adaptation des systèmes d’information des hôpitaux : les hospitalisations représentent la moitié des soins et surtout les plus lourds. Le plan ambitieux d’amélioration de l’informatique de soin hospitalière doit donc nécessairement intégrer le DMP. Les réflexions n’en sont qu’à leur début et doivent donc être accélérées.
-  Restauration du dialogue avec les industriels sur le modèle de la fonction d’hébergement. Les industriels de l’hébergement sont sceptiques sur le modèle hébergeur de référence agréé. Au delà de leurs intérêts propres, il est indispensable que le modèle d’organisation de fonctionnement, de montée en charge et d’hébergement du DMP soit largement compris et reconnu.

2.2.4. Organiser la fonction d’hébergement sur la base d’un dispositif simple et lisible :

Le choix de l’hébergeur par le patient est une fiction et la concurrence sur l’hébergement est susceptible d’engendrer des dérives : l’État doit renoncer au principe de libre choix de son hébergeur par le patient et se borner à
-  garantir aux patients la sécurité et le bon usage du DMP
-  et organiser en amont la concurrence en matière d’hébergement et fixer des règles transparentes :
Les candidats hébergeurs, n’auront pas d’autre procédure sélective que leur demande d’agrément et seront habilités sur la seule base technique du niveau requis de sécurité et de disponibilité.
Plusieurs sociétés fournissent actuellement ce service standard, surtout si les données sont stockées cryptées à l’instar des données du dossier pharmaceutique. Il peut aussi s’agir d’hébergeurs spécialisés de données de santé qui intègreraient en partie des données issues de sources différentes.
Toutefois, si le souhait des pouvoirs publics est de limiter le nombre d’opérateurs, afin par exemple de mieux pouvoir contrôler leur aptitude à être agréés, un numerus clausus peut être institué : La mission préconise par exemple, le choix, après la phase pilote, de deux ou trois hébergeurs se partageant à parts égales le marché, mutuellement sécurisés et régulièrement remis en concurrence donneraient des garanties de lisibilité, de sécurité et d’efficacité.[YBT7]
Dans cette perspective, l’étape de prototypage est absolument indispensable pour fixer les bons paramètres de volume, de temps de réponse en fonction de la montée en charge qui aura été programmée.

2.3. Instaurer une véritable gouvernance des systèmes d’information dans le domaine de la santé

[YBT8]

Un changement radical de gouvernance est une condition essentielle pour rétablir la confiance.
A cet égard, la mission préconise :
-  Un schéma directeur des systèmes d’information de santé. Le DMP n’est qu’une des composantes du système d’informatique électronique de santé. Son développement est conditionné par le développement d’autres systèmes tels ceux de l’hôpital. Par ailleurs, la définition des formats de données et des protocoles d’échanges concerne tous les systèmes simultanément.
-  Le renforcement des moyens de la MISS
-  Une structure de pilotage stratégique, chargée de la cohérence d’ensemble, de la lisibilité des décisions, de la surveillance des risques identifiés
-  Un regroupement des organes de maîtrise d’ouvrage des systèmes d’information de santé car plusieurs GIP et GIE concourent au même projet d’ensemble et pourraient mettre en commun leur fonctions administratives, leur capacité de gestion de projet, leur service qualité,... d’information
-  A terme, étudier la création d’une agence nationale de santé, agence nationale des systèmes de santé regroupant les principaux organismes travaillant sur des projets confluents
-  En attendant un Conseil National des Systèmes Informatiques de Santé des groupements de maîtrise d’ouvrage ou d’œuvre des systèmes de santé (à affiner)

III. CONCLUSION

[yBT9] • Le DMP est un projet dont l’objet et le bien-fondé ne sont pas discutés.
Selon les termes du président du GIP, « le DMP se trouve au confluent de quatre évolutions » :
-  celles de l’informatique ;
-  de l’organisation des systèmes médico-sociaux ;
-  du droit des malades ;
-  des logiques économiques.
Il n’est pas surprenant dans ces conditions que Je projet soit difficile à définir et à mettre en œuvre, et qu’il nécessite impérativement "adhésion de tous les acteurs du monde de la santé (professionnels de santé, hôpitaux, industriels, ... )

• Attacher au DMP des objectifs précis, limités et raisonnables
En particulier, afficher un délai oniriquement court et un budget partiel et réduit n’est pas raisonnable.
De surcroît, le but premier du DMP est l’amélioration de la qualité des soins, par des techniques informatiques aujourd’hui usuelles (cf. p.1). Il doit être considéré comme tel, sans chercher à le parer de multiples vertus, notamment budgétaires s’il concourt naturellement par ses effets induits, à la réduction des prescriptions inutiles ou redondantes et à la réduction du risque iatrogène, il n’en est ni l’unique vecteur, ni même le principal. C’est un moyen parmi d’autres, dont on ne saura sans doute jamais déterminer la contribution précise. Le DMP ne prendra tout son sens que dans le cadre d’une évolution générale des systèmes de santé qu’il ne pourra pas seul engendrer
Dans ces conditions, chercher une justification économique intrinsèque (retour sur investissement) au DMP constitue un leurre intellectuel.
En particulier, l’objectif de réduction des redondances de prescriptions comme celle des iatrogénies constituent des non-sens ne serait-ce que parce que les données structurées nécessaires font défaut dans le projet.
Par ailleurs, nombre de points techniques sont encore en suspens, dont la résolution ne fait pas de doute à terme, mais dont l’impact financier n’est pas dominé et peut s’avérer lourd : l’informatique peut assurément résoudre tout les problèmes d’échanges de données, mais à quel prix ?
En outre, de sérieuses difficultés juridiques sont soulevées, qu’il vaut mieux résoudre - à tout le moins dégrossir - avant de les rencontrer massivement dans une opposition entre l’État, les PS et les citoyens.
En l’absence d’un consensus suffisant en faveur du DMP - comme c’est aujourd’hui le cas -, le risque de convergence de critiques peut lui faire perdre toute chance de crédibilité et de succès.
Enfin, il n’y a aucun impératif d’urgence calendaire dans ce projet : la Santé en France n’est pas menacée par le retard du DMP. A contrario, elle ne connaîtra pas un saut visible de qualité du fait du démarrage du déploiement du DMP.
En tout état de cause, il n’y aura pas avant au moins une dizaine d’années au moins un dossier patient contenant en un seul endroit toutes les données médicales le concernant

En résumé, la mission préconise de :

• En premier lieu suspendre sans attendre le calendrier ; et déclarer la consultation en cours (hébergeur de référence) sans suite.

• Examiner les alternatives architecturales et fonctionnelles envisageables, notamment la possibilité de concevoir un dossier
-  non exhaustif,
-  non unique (réparti)
-  ou une affectation prioritaire (ALD, personnes âgées,... )

• Relancer la dynamique industrielle en
-  Développant un prototype en fonction de la solution architecturale qui sera retenue à l’issue de cet examen
.
Ce prototype sera destiné à tester sur une maquette
• le réalisme technique de la solution ;
• les règles d’alimentation du DMP par les flux « confluents » (OP, Biologie, Radiologie, DCC, systèmes de réseaux locaux de soins,... ) ;
• l’interfaçage avec quelques grands LPS à la fois de médecine de ville et hospitaliers ;
• l’intérêt et l’efficacité du portail de la CDC

-   couplé à la relance de phases pilotes locales visant à tester :
• l’alimentation en données du DMP par les outils « confluents » (OP, Biologie, Radiologie, DCC, systèmes de réseaux locaux de soins, ... )
• l’adaptation des usages grâce à l’interfaçage avec quelques grands LPS à la fois de médecine de ville et hospitaliers
• l’intérêt et l’efficacité du portail de la CDC dans la pratique quotidienne

-  associé à un pilotage de l’évolution des pratiques professionnelles et des LPS à la fois des médecins de ville et des systèmes hospitaliers et à une pédagogie des patients.
• Rétablir la confiance des partenaires de ce projet en le déconnectant de sa proximité politique, notamment en dégageant le cabinet Santé de son rôle de tutelle opérationnelle
-  et en le cantonnant à une approche expressément technique, gérée « en mode projet ».

• Instituer un « Comité National de Coordination des SI de santé » réunissant les grand corps de contrôle de l’État ;
-  chargée de surveiller la coordination et la cohérence des projets des différentes structures techniques concourant à la modernisation des systèmes de soins : GIP, GIE SV, ....
-  ayant le pouvoir d’information, l’autorité de décision et la capacité de blocage budgétaire sur les administrations et services concernés.

• Prendre le temps de circonscrire les questions juridiques soulevées et y apporter les réponses textuelles (règlementaires voire législatives) suffisantes :
-  NIS ;
-  décrets en suspens
-  contexte d’activité des hébergeurs agrées ;
-  avis CNIL

• Prendre le temps de résoudre préliminairement les questions financières et techniques en suspens ; consécutivement déterminer qui prend en charge quoi en contrepartie de quoi.

• Une fois le plan de mise en œuvre arrêté, évaluer méthodiquement chacun des postes de charges et constituer un budget en temps et en charges réaliste.
Définir précisément qui paie quoi et comment et faire valider ce budget dans la loi (LFSS) .


[1] cf. circulaire DHOS E3120061281 du 24 juin 2006