Gérard Bapt, député et président du Groupe d’Etudes « Numérique et santé » de l’Assemblée Nationale.
Six mois après la publication de notre enquête sur le dossier médical personnel (« Gâchis et conflits d’intérêts à tous les étages »), la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, vient d’annoncer la mise en œuvre d’un « DMP de seconde génération ».
À ce jour, 290.000 dossiers ont été ouverts, pour la plupart virtuels car vides dans 71 % des cas. La Cour des Comptes vient de porter un jugement très sévère sur l’inadéquation du DMP aux besoins des praticiens, l’utilisation des ressources publiques, la disproportion entre le coût et les résultats, mais aussi sur le pilotage gravement défaillant de l’Etat et sur l’absence de coordination avec l’Assurance Maladie.
La Ministre des Affaires Sociales et de la Santé, Marisol Touraine, acte ainsi l’échec du DMP première version.
La production d’informations numériques sécurisées doit être organisée autour du cadre d’interopérabilité défini par l’Agence des systèmes d’information partagés (ASIP). Le bon sens annonçait l’échec de la cathédrale technologique promise dans des conditions de confidentialité et de disponibilité peu assurées. Une politique incitatrice devrait permettre d’alimenter le DMP via les sources d’information que sont les Etablissements de Santé, les Laboratoires et cabinets d’imagerie.
Le DMP doit répondre aux besoins quotidiens des médecins traitants chargés de l’organisation du parcours de soins, ainsi qu’aux normes de la Haute Autorité de Santé et de la Commission Informatique et Libertés, validées par homologation de la tutelle. De tels outils existent, ils ont été déployés. Il convient de tirer les leçons de l’existant et évaluer les raisons des nombreux et ruineux échecs des systèmes d’information de grands Etablissements.
La difficulté de l’organisation du partage des informations n’est pas tant dans le combat entre les tenants des architectures centralisées et ceux des prosélytes des architectures réparties, mais bien plus dans la facilité à utiliser et à partager des données sensibles donc sécurisées. Des réussites existent, telle celle proposée dès 2008 par l’ARH de l’Ile-de-France dans le cadre d’Hôpital 2012.
Elle est déployée avec grand succès sur le site de l’hôpital Lariboisière pour un coût étonnamment raisonnable. La région Rhône Alpes utilise d’ailleurs à travers SISRA une technologie comparable organisée autour de pointeurs de données.
De telles plateformes permettent la transmission des courriers vers les acteurs sanitaires, des rapports de sortie établis en temps réel vers le médecin traitant.
À la clé, une réduction du temps de transmission des comptes rendus, une meilleure coordination des soins avec la médecine de ville, un gain de temps médical, de productivité des secrétariats et des réductions considérables de coûts liés aux affranchissements postaux et aux diverses manutentions des documents papier.
Pour redonner confiance, la démarche doit être fondée sur les besoins réels et les usages possibles, ainsi que sur des critères de confidentialité, de disponibilité et d’accès par le professionnel de santé prenant en charge le patient. Les données numériques de Santé sont un enjeu majeur pour la qualité du dialogue entre soignés et soignants, l’efficacité des soins, leur coordination et l’optimisation des ressources publiques.
Réorienté en termes de gouvernance, d’architecture et de sécurité, le déploiement doit partir du terrain, des acteurs de santé dans les territoires, pour en faire un instrument de la coordination des soins.
Le partage des informations doit aussi être organisé en tenant compte des dimensions de sécurité et d’adaptation des exigences éthiques du secret médical, en accord avec les associations de patients.
L’action publique doit stimuler cette production de façon coordonnée à partir des principales sources de données existantes et des expériences connues. Les établissements de santé doivent disposer d’outils numériques conformes aux besoins prioritaires, homologués, simples à déployer et à utiliser, sur la base de ressources adaptées. Les conditions de la réussite d’un tel plan passent par une démarche stratégique claire, un pilotage précis, une saine gestion et une évaluation drastique.
La médecine de ville, en charge de l’organisation du parcours de soins représente une considérable source de production de dossiers médicaux. Le prolongement de la clause du « volet médical de synthèse » déjà présente dans la convention, en direction prioritaire des patients porteurs de pathologies chroniques dont les Affections de Longue Durée (ALD), permettrait la création de millions de DMP en quelques années. Les syndicats médicaux y sont prêts.
La condition de la réussite réside dans la mise en place d’une gouvernance solide portant une vision stratégique de l’usage du numérique de santé définie par le Gouvernement, impliquant échéances et évaluations.
Projet au service des patients et des soignants, il est aussi la condition de la renaissance d’une filière industrielle du logiciel médical (20 000 emplois), riche d’atouts innovants utiles, mais aujourd’hui sinistrée et sans repère.