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En 2004, Philippe Douste-Blazy, lors du énième plan destiné à faire des économies de santé, lançait l'idée du dossier médical personnel (DMP). Il s'agissait de consigner, dans un dossier informatisé accessible aux médecins, le parcours médical d'un individu tout au long de sa vie. Et cela avec un double objectif : améliorer la qualité des soins (en permettant aux praticiens de repérer vite les éventuelles allergies, les traitements en cours, les antécédents médicaux) et réduire les coûts (en évitant les examens redondants et inutiles). Avec l'avancée de la réflexion sur ce sujet, la conception du DMP est devenue de plus en plus complexe, prévoyant notamment le consentement du patient pour l'ouvrir et l'alimenter, et la possibilité pour lui de masquer certains événements de santé qu'il refuse de dévoiler. Le dossier médical personnel a peut-être été une excellente idée, mais celle-ci semble en train de sombrer dans les méandres des difficultés techniques, économiques et désormais éthiques.
Le 19 mars dernier, le Comité consultatif national d'éthique a été saisi par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, à propos notamment du DMP et des risques de perte de confidentialité induits par l'accès électronique des dossiers du patient par le personnel de santé. La réponse présentée jeudi met en cause le principe même du dossier médical personnel. Le Comité, dans son ensemble, estime que « le DMP, tel qu'il est proposé, ne permettra pas d'atteindre le but poursuivi, à savoir d'associer une meilleure coordination des soins conduisant à l'amélioration de leur efficience et de leur qualité, avec une meilleure utilisation des dépenses de santé pour un coût identique ou diminué. »
Il soutient que le DMP, dans sa conception actuelle, ne peut être adopté pour chaque citoyen à l'échelle nationale, mais pourrait être proposé notamment dans certaines conditions aux personnes volontaires, atteintes de maladies nécessitant l'intervention de nombreux professionnels. Cette position pourrait contribuer à remettre en question ce projet qui s'est déjà révélé être un gouffre économique et qui devrait, s'il est finalisé, nécessiter un financement de plus d'un milliard et demi d'euros.
Pourquoi une position aussi tranchée ? Pour le comité d'éthique, le dossier médical personnel tel qu'il est conçu présente certaines limites, notamment du fait de la possibilité de « masquage » d'informations par le patient, pourtant indispensable, car garante de sa liberté et de son autonomie. Ce « masquage » lui offre la certitude qu'un épisode de toxicomanie, une interruption médicale de grossesse ou une dépression figurant dans son dossier ne deviendront pas des armes utilisées contre lui par son employeur, son assurance, sa banque. « Quelle serait l'utilité d'un dossier dont le titulaire aurait décidé d'effacer certaines informations qui pourraient être essentielles à sa prise en charge médicale ? s'interroge le comité.
Par ailleurs, si le malade est inconscient, le médecin peut s'arroger le droit de « bris de glace », c'est-à-dire de consultation de son dossier, sauf si le patient s'y était opposé lorsqu'il était conscient. « Le masquage et l'opposition au bris de glace sont des expressions d'un principe d'autonomie dont le respect peut, le cas échéant, aller à l'encontre de l'intérêt du patient », peut-on lire dans cet avis.
Outre ces limites, le dossier médical personnel risque de mettre à mal le caractère strictement confidentiel des données de santé. « En dépit des précautions prises par les concepteurs de programmes informatiques, des possibilités de subtilisation de données confidentielles existent. La crainte persiste que des données personnelles puissent voyager via Internet, qu'elles puissent être récupérées par exemple par des assureurs ou des employeurs potentiels. L'accès au dossier médical pourrait aussi jouer comme un piège pour la personne dans ses relations avec une compagnie d'assurance ou une banque. »
Cette charge contre le dossier médical personnel pourrait lui être fatale. D'autant que le Conseil national de l'ordre des médecins s'est aussi longuement penché sur cette question au cours des années précédentes, en s'inquiétant des dérives possibles d'un tel dossier et en s'interrogeant en particulier sur la possibilité pour le médecin de tout écrire, comme une suspicion de maladie d'Alzheimer ou le pronostic péjoratif d'un cancer, que le patient n'a pas forcément envie d'entendre.