Plus de quatorze ans après avoir été promis par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, le dossier médical partagé (DMP) est désormais officiellement « disponible pour tous ». L'actuelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé mardi 6 novembre, le lancement national de ce carnet de santé numérique « gratuit, confidentiel, sécurisé » et non obligatoire, qui centralise les informations médicales des patients, comme les comptes rendus d'hospitalisation et de consultation, les résultats d'analyses biologiques, les radios, etc.
Sur le papier, l'outil présente beaucoup de vertus. Il doit renforcer la collaboration entre les professionnels de santé, permettre un accès immédiat aux informations médicales d'un patient lors d'une première consultation ou en cas d'urgence, éviter les risques liés aux interactions médicamenteuses ou la réalisation d'actes médicaux redondants. En 2004, lors de la présentation du projet, M. Douste-Blazy estimait que le DMP pourrait permettre d'économiser 3,5 milliards d'euros par an, un montant jamais réévoqué depuis.
Après des années d'atermoiements et des centaines de millions d'euros dépensées, le dispositif revient de loin. En 2016, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), qui s'est vu confier son déploiement par la loi santé de Marisol Touraine, choisit de l'expérimenter à marche forcée dans neuf départements. Les pharmaciens sont intéressés à leur création (1 euro par DMP ouvert) et les Caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM) sont elles aussi invitées à en ouvrir. Résultat : 1,9 million de Français ont aujourd'hui un tel dossier et près de 100 000 s'ouvriraient actuellement « à bas bruit », selon la CNAM, chaque semaine. Objectif désormais : 40 millions de dossiers ouverts d'ici à cinq ans.
Pour que le DMP ne reste pas une coquille vide avant l'intervention d'un professionnel de santé, l'Assurance-maladie l'alimente automatiquement avec l'historique des vingt-quatre derniers mois de remboursement de soins. Les assurés peuvent également eux-mêmes créer, consulter, voire même abonder leur DMP, « notamment avec des photos ou des PDF des documents de santé ». Des modalités censées permettre une appropriation de l'outil par les assurés et les professionnels de santé.
« Nous ne partions pas d'un accident industriel mais d'un échec dans le déploiement. Les conditions fondamentales pour relancer la dynamique sont aujourd'hui réunies, assure au Monde Nicolas Revel, le directeur général de la CNAM. Tout n'est pas parfait. Nous avons conscience qu'il faut encore améliorer l'ergonomie, mais pendant deux ou trois ans, nous allons corriger, ajuster, enrichir et adapter le service. »
Car pour être un succès, le dispositif doit emporter l'adhésion des médecins, aujourd'hui loin d'être acquise, principalement par manque de simplicité d'utilisation. « On aurait pu avoir quelque chose de plus fonctionnel et de plus simple si on n'avait pas laissé faire l'administration », assure Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France, qui estime que « le DMP en 2018, c'est du vent total, ça ne marchera pas plus que les autres fois… ».
Ceux qui l'ont expérimenté font également part de leur scepticisme. « Les éditeurs de logiciels n'ont pas tous développé les bonnes interfaces, vous pouvez perdre plusieurs minutes à intégrer les documents », raconte Yannick Schmitt, médecin généraliste dans le Bas-Rhin, l'un des départements tests, et président de Reagjir, un syndicat de jeunes médecins. « Enthousiaste » sur le principe du DMP, il regrette le manque de données y figurant. « Les hôpitaux ne sont pas très réactifs, et seuls un ou deux laboratoires pharmaceutiques jouent le jeu. S'il n'y a aucune information dedans, on ne va pas y aller », dit-il.
Signe de la réticence des médecins à utiliser ce service, ils n'étaient que 18 % à le remplir dans les neuf départements tests. En Haute-Garonne, l'un d'entre eux, Jean-Louis Bensoussan, secrétaire général de MG France, premier syndicat chez les généralistes, affirme n'avoir jamais réussi à verser des documents dans le DMP. « Tel qu'il est conçu, ce dossier médical n'est pas intéressant pour les médecins, juge-t-il. Pour 95 % de mes patients que je connais déjà, je reçois directement les informations nécessaires via mon dossier patient. Pour les autres, ce sont des pathologies bénignes pour lesquelles l'accès à un dossier partagé ne m'apporterait pas grand-chose. »
Pour davantage inciter les médecins à remplir ces DMP, certains leaders syndicaux, comme Luc Duquesnel, le président de Généralistes-CSMF, proposent que l'Assurance-maladie paye les praticiens pour remplir les dossiers médicaux des patients polypathologiques, une tâche selon lui « chronophage à faire de façon structurée », et nécessitant « pas loin de quarante-cinq minutes ». Une demande rejetée par Nicolas Revel, qui assure ne « pas avoir prévu de rémunérer en tant que tel » l'alimentation du DMP.
Des données confidentielles, à l'accès restreint
Le patient peut choisir les professionnels de santé qui peuvent accéder à son dossier médical partagé et décider de masquer une information médicale, sauf à son médecin traitant. Il est averti par e-mail ou SMS « dès qu'un document est déposé ou qu'un professionnel de santé se connecte pour la première fois », explique l'Assurance-maladie. La Caisse nationale d'assurance-maladie rappelle par ailleurs que les laboratoires pharmaceutiques, les mutuelles, les banques et les assurances « n'y ont aucun droit ». Lors de la création de son dossier, l'assuré doit préciser s'il souhaite rendre son dossier accessible en cas d'urgence, par exemple lors d'un appel au SAMU-Centre 15.