Texte original sur ticsante.com
Dans cet ouvrage publié mi-juin, Jean-Yves Robin dresse un état des lieux de la situation française en matière de e-santé et avance des propositions pour "une politique publique ambitieuse du numérique au service de notre santé" (voir dépêche du 11 juillet). Il sort sept mois après son départ de l'Asip santé, le 30 novembre 2013 (voir dépêche du 2 décembre 2013).
Dans un chapitre consacré à "la quête de la coordination des soins", Jean-Yves Robin revient sur l'histoire du DMP, "un sujet incontournable dès que l'on évoque l'e-santé".
Il écrit d'abord que, sur ce sujet, "les a priori se sont développés à un tel point que l'on semble renoncer à établir un diagnostic documenté de la situation". "L'histoire du DMP, c'est un peu de ce point de vue la faillite de la raison", regrette-t-il.
L'auteur, qui avait succédé en novembre 2008 à Jacques Sauret à la tête du groupement d'intérêt public chargé du dossier médical personnel (GIP-DMP), devenu l'Asip santé en 2009, rappelle en quelques lignes les premières étapes du projet: une série d'expérimentations régionales "inégales" mais "sur bien des aspects nécessaires" en 2005; un audit aux conclusions "sévères et pour certains injustes" sur la conduite du projet en 2007; puis une relance en 2008.
En octobre 2010, le projet est "techniquement prêt", poursuit-il. Les éditeurs commencent dès lors à rendre leurs logiciels "DMP-compatibles".
Mais le dossier est victime, en novembre 2011, de la suppression par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) de son budget de déploiement de 15 millions d'euros et de la réduction du budget du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs). "Le DMP n'a plus de budget de déploiement alors même que la construction du système vient d'être achevé", résume Jean-Yves Robin.
Le DMP devait être lancé dans 10 nouvelles régions volontaires en juin 2011 -après une première phase dite d'amorçage dans quatre régions pilotes début 2011- mais "les fonds ne seront jamais débloqués, imposant l'arrêt du déploiement".
"L'absence de décision politique en 2011 pour le démarrage du déploiement a laissé le service DMP dans la phase de test, phase qui s'est prolongée avec la période pré-electorale de 2012 et jusqu'en 2014", écrit-il. Les 450.000 DMP créés à juin 2014 "résultent de cette première phase".
Jean-Yves Robin note que les "fondamentaux" du DMP (stockage des informations de santé dans un lieu sécurisé, accessible par les professionnels de santé) restent "assez peu discutés" et que c'est "la solution très majoritairement adoptée internationalement".
"Aucune alternative crédible au système actuellement en place n'a été avancée" et le DMP de "deuxième génération" ne comporte pas d'"éléments tangibles qui feraient radicalement évoluer le système actuel". Pour l'auteur, "le DMP 2 semble devoir être la phase 2 du déploiement du DMP, si ce n'était la volonté aussi artificielle que politique d'afficher une rupture". A ce titre, l'attente de près de trois ans depuis son annonce était "à bien des égards inutile".
Sur le projet de pilotage du DMP 2 par la Cnamts, annoncé le 19 juin par Marisol Touraine (voir dépêche du 23 juin) -c'est-à-dire après la sortie du livre-, Jean-Yves Robin estime qu'il posera "la question de la capacité et de la volonté de l'Etat à promouvoir une politique globale d'e-santé qui va bien au-delà du DMP et du champ de compétence de l'assurance maladie". Il "nécessitera la pérennisation d'une capacité de maîtrise d'ouvrage publique forte".
Ce pilotage par la Cnamts posera aussi la question "de la compatibilité des missions de l'assurance maladie avec celle de gérer en toute confidentialité les dossiers médicaux des citoyens", poursuit-il. Il rappelle que les associations de patients s'y étaient "fortement opposées en 2009".
Finalement, les difficultés rencontrées par le DMP "résident essentiellement dans son adoption par les professionnels de santé et les conditions de son déploiement", assure Jean-Yves Robin. Les questions techniques "sont pour la plupart réglées", ajoute-t-il.
Sur la question du coût, il souligne que l'estimation de la Cour des comptes en 2012 n'a "jamais été démentie au-delà des déclarations de tribunes". Ce rapport notait que "les seuls coûts reconnus comme étant imputables au DMP s'élèvent à 150 millions d'euros" de 2005 à 2011. "On peut sans doute ajouter une dizaine de millions d'euros depuis cette date et un peu plus de 450.000 DMP créés dont seulement la moitié est utilisée", conclut Jean-Yves Robin.
"La France est sans doute passée assez près d'un succès que beaucoup de pays commençaient à nous envier", estime-t-il.
(Santé: L'urgence numérique. Faire de la France un leader de l'e-santé, de Jean-Yves Robin, Ed. L'Harmattan, 207 pages, 21,50 euros)